Jean Genet : quand la Pride doit retrouver sa rage
De qui les Prides sont-elles la fierté ? Sont-elles la fierté des entreprises qui s’affichent en alliées un mois par an ? Sont-elles la fierté des gouvernements qui pinkwash leurs politiques de violence systémique contre nos adelphes racisé·es ? Ou les Prides sont-elles notre fierté, notre amour et notre combat ?
Cette question, hier, pouvait nous sembler absurde ; aujourd’hui, elle est devant nous, et l’incendie est parti d’une simple affiche de LGBQIA+ qui frappent un nazi.
Souvenez-vous, une simple affiche. Celle de la Marche des Fiertés de Paris du 28 juin, même pas encore passée. Ça a suffi pour que la droite fonce sur l'Inter-LGBT, cisaillant les subventions avec un unique objectif : faire taire une organisation, pourtant bien sage, de la lutte pour l'égalité. Et comme si ce n'était pas assez, la semaine dernière, nouveau coup de poignard au Conseil régional d'Île-de-France : sous la botte du Rassemblement National, Pécresse plie et retire 25 000 euros de plus. Franchement ? On est passé·es du bâillon à l'étranglement en bonne et due forme.
Cette guerre aux subventions, on la connaît bien à Nantes. Retailleau, président de la région Pays de la Loire (oui, déjà lui, ce vieux briscard), avait annulé la subvention au CinePride, par exemple. Le prétexte ? La diffusion d'un film abordant la GPA. La droite est décidément fragile et obsédée par la morale des autres.
Quand l'État s'acharne : le bras de fer Retailleau
Aussi violentes que ces décisions politiques soient, elles ne sont que politiques. Nous pouvons les affronter, et les battre, par la mobilisation, par l'engagement. Ça, on connaît, on sait faire.
Mais la donne change, et c'est une autre paire de manches, quand ce même Retailleau, maintenant ministre de l'Intérieur, utilise l'appareil d'État pour nous attaquer. On ne parle plus de coups de canif dans le budget, on parle d'un bras armé qui se retourne contre nous.
Ça a déjà commencé, encore et toujours avec cette affaire d'affiche. La DILCRAH, cette institution censée être indépendante, celle-là même qui est chargée de nous protéger, nous les LGBTQIA+, a cédé. Sous la pression de la ministre Aurore Bergé – vous savez, celle qui s'est distinguée par son opposition au mariage pour tou·tes et ses positions abjectes contre les droits des personnes trans – elle a retiré la subvention à l'Inter-LGBT. Je le répète, une simple pression politique d'une ministre a permis le retrait de subventions à l'un de nos collectifs les plus importants. C'est ça l'État. C'est ça la démocratie qu'ils défendent.
Cette même guerre est d'ailleurs menée, avec la même brutalité, contre les acteurs de la lutte contre le VIH. On assiste, effaré·es, à un miroir français de la politique de Trump, où la santé publique et les droits fondamentaux sont sacrifiés sur l'autel de l'idéologie rance.
Alors, passant par la préfecture de Paris, toujours aussi servile quand elle trouve un bon maître, le Vendéen nous attaque. Directement.
L'ennemi dans nos rangs : quand l'État impose ses nervis
L'adversaire est habile, je le reconnais. Et ses alliés du bloc bourgeois lui permettent de nous attaquer frontalement. Mais imaginez l'ignominie : le ministre de l'Intérieur ose nous imposer, au sein même de notre Pride, un collectif homonationaliste ! Un groupuscule qui dégueule sa haine de l'Autre, de la marge, des vraies luttes.
Et ce n'est pas tout. Ce même ministre leur octroie 50 CRS. Cinquante flics pour accompagner ceux qui, l'an passé, nous traitaient de "déchets" et tentaient le coup de poing.
Oui, vous avez bien lu. L'État nous impose ses nerviss. Ceux qui nous insultent, ceux qui veulent en découdre, ceux qui renient tout ce que la Pride devrait incarner. L'État nous envoie ses propres milices pour "sécuriser" une marche qu'ils veulent voir crever.
Tout comme Vichy avait l'ordure Brasillach, Retailleau a ses Éros et Yowan Pawer.
Plutôt Jean Genet que Robert Brasillach : la dignité de la rage
Mais n'oublions pas le fond de cette histoire. Je n'oublie pas que cette affaire, déclenchée par des militant·es pro-Netanyahou, s'est d'abord focalisée sur la question d'un possible soutien de l'Inter-LGBT au martyre de Gaza et en soutien aux Palestinien·nes. Derrière les faux-semblants, je vois la démarche raciste et islamophobe en action, la même qui arme la main de nos "alliés" homonationalistes.
Alors, plutôt que de rester dans le camp de l'ordre et de la trahison, plutôt que de choisir ces Brasillach des temps modernes, ces vendu·es qui nous imposent leurs nervis, choisissons un autre saint patron. Un modèle. Un militant homosexuel, radical et entier : Jean Genet.
Jean Genet, donc. Certainement pas le genre à défiler derrière les chars des grandes banques avec un petit drapeau arc-en-ciel. Non. Genet, c'était le poète voyou, l'homosexuel fier qui n'a jamais baissé les yeux, trouvant la beauté et la vérité là où d'autres ne voyaient que les marges et les prisons. Il n'a jamais demandé la permission d'aimer, ni de contester les idées reçues. Quand il a fallu prendre position, son choix a toujours été clair : aux côtés des Black Panthers, des damnés de la terre, des oublié·es de l'histoire.
Et quand la Palestine saignait, dès 1970, bien avant que tant d'autres ne s'y intéressent, il était là. Au cœur des camps de réfugié·es – ceux nés de la Nakba, cette catastrophe qui a jeté des millions de Palestinien·nes hors de chez eux, des camps comme ceux de Jordanie, ou plus tard, tragiquement, Sabra et Chatila au Liban – il écoutait, il écrivait, il portait la voix de ceux que l'on voulait faire taire. Il était là pour pointer du doigt l'hypocrisie crasse de nos démocraties occidentales. Son regard ne mentait pas, il voyait la justice et l'injustice là où elles étaient, sans fard ni compromis.
Son œuvre et sa vie furent un acte de résistance, son homosexualité une affirmation radicale, son corps un territoire de liberté. Voilà ce qui peut nous guider pour nos luttes.
Pour une Pride à la Genet : la dignité de la rage
Nous serons donc là ce samedi, pour la Marche des Fiertés de Paris mais aussi à Budapest, pour la marche interdite par Victor Orban, non pas pour cautionner cette offensive réactionnaire, mais pour reprendre la rue, pour clamer notre existence et notre résistance. Pour dire que notre fierté n'est pas à vendre, qu'elle n'est pas négociable. Que nos corps sont des territoires politiques et que nos solidarités ne connaissent pas de frontières, de Gaza au monde entier. La Pride doit être une gueulante, une insulte aux puissant·es, une main tendue aux opprimé·es, un bras d'honneur au conformisme. Elle doit être ce que Jean Genet a toujours incarné : la beauté du refus, la dignité des marges, la force de ceux qui ne s'agenouillent jamais.
Plutôt Jean Genet que Brasillach, oui. Mille fois oui.